Méthode pour un récit coopératif
Nous vous partageons une recette pour faire prendre la sauce du récit coopératif.
Par Aurélien Vialette, le 12 avril 2024
2024 ; l'année du récit coopératif pour .Repliq. Une année que nous démarrions justement par un manifeste pour un récit coopératif dans lequel nous affirmions que oui, le récit coopératif est un levier de transition. Nous terminions cet article par un teasing, une promesse en un mot comme en cent : comment faire prendre la sauce du récit coopératif ?
Il est temps de proposer une recette.
Au commencement, il est une plateforme
J'ai eu la chance d'apprendre l'improvisation théùtrale Ă la source : au QuĂ©bec. Et j'y ai dĂ©couvert que l'improvisation ne s'improvise pas. OĂč plutĂŽt que l'improvisation n'est possible que dans un cadre rigoureux. En d'autres termes : on ne peut pas raconter une histoire sans rĂ©pondre Ă un canevas spĂ©cifique. On parle alors de plateforme au rĂ©cit. En improvisation, celle-ci se construit autour de quatre questions : qui suis-je ? qui est l'autre pour moi ? oĂč sommes-nous ? Quand et que faisons-nous ?
à partir de là , le récit peut s'articuler librement au gré des propositions des joueurs.
Je propose d'appliquer cette méthode au récit coopératif ; en modifiant quelque peu les modalités :
Qui sommes-nous ? Quel est notre ADN ?
OĂč allons-nous ? Quelle est notre raison d'ĂȘtre ?
Comment nous mettons-nous en mouvement ? Quelle est notre façon d'agir ?
Et c'est bien sur le "comment", la "quĂȘte" que se construit le rĂ©cit coopĂ©ratif.
Une quĂȘte du collectif
Dans un trou vivait un hobbit. Pas un trou sordide, sale, humide, rempli de bouts de vers et d'une atmosphÚre suintante, ni non plus un trou sec, dénudé, sablonneux, sans rien pour s'asseoir ni sur quoi manger : c'était un trou de hobbit, et cela signifie le confort.
Par ces mots, JRR Tolkien commence le rĂ©cit d'une des quĂȘtes les plus Ă©piques du genre mĂ©diĂ©val-fantasy : Le Seigneur des Anneaux. En quelques mots, ce rĂ©cit raconte la quĂȘte d'un collectif hĂ©tĂ©roclite de crĂ©atures en tout genre pour dĂ©truire l'anneau de pouvoir et sauver la Terre du Milieu. La morale de cette histoire : c'est par la solidaritĂ©, l'abnĂ©gation et la dĂ©termination que nous parvenons Ă de grandes rĂ©ussites (mes excuses pour cette analyse Ă la hache d'une Ćuvre monumentale, les expert·es du genre doivent s'en arracher les cheveux).
Mais quel lien avec notre récit coopératif ? Nous y venons. Et pour cela reprenons notre plateforme.
Qui sommes-nous ?
La communautĂ© de l'anneau, un collectif bigarrĂ© bien dĂ©cidĂ© Ă dĂ©truire l'anneau de pouvoirOĂč allons-nous ? Quelle est notre raison d'ĂȘtre ?
Direction le Mordor pour sauver la Terre du MilieuComment nous mettons-nous en mouvement ? Quelle est notre façon d'agir ?
Des milliers de pages et 10h de film nous le racontent.
Le récit de Tolkien tient dans ce "comment". Il s'attache à montrer les péripéties du groupe, ses réussites et ses échecs, ses difficultés et ses fiertés. Bref, c'est l'histoire en marche que nous suivons à travers les yeux de son narrateur.
C'est cette quĂȘte du collectif que doit raconter le rĂ©cit coopĂ©ratif. Alors non, il ne s'agit pas de trouver un hobbit, un nain et un elfe, mais de raconter comment des personnes diffĂ©rentes, pourtant liĂ©es par une cause partagĂ©e, cheminent vers une destination commune.
Car si la destination compte, c'est surtout le voyage pour y parvenir qui importe.
Ăcrire le rĂ©cit coopĂ©ratif
Okay. Mais n'est pas Tolkien qui veut. Alors comment Ă©crire un rĂ©cit coopĂ©ratif, digne d'ĂȘtre lu, capable d'embarquer son auditoire ? LĂ est tout l'enjeu. Et voici la mĂ©thode que je pourrais proposer pour y rĂ©pondre :
En premier lieu, il s'agit de bien dĂ©finir sa plateforme et notamment son ADN et sa raison d'ĂȘtre. Sans cela, pas de rĂ©cit coopĂ©ratif stable.
Ensuite, il semble Ă©vident que le rĂ©cit coopĂ©ratif doit s'Ă©crire Ă la premiĂšre personne. Il doit donc ĂȘtre portĂ©, incarnĂ©, par celles et ceux qui font le collectif.
Enfin, le récit coopératif s'apparente plus à un documentaire qu'à une fiction. Il rend compte des péripéties en quasi-direct. Ce rapport au temps présent permet de créer une proximité et d'embarquer plus facilement son auditoire.
Cette Ă©criture (au sens large du terme, l'Ă©crit n'Ă©tant pas nĂ©cessairement le canal principal de diffusion du rĂ©cit coopĂ©ratif), se distingue d'un storytelling classique "nĂ©o-entrepreneurial" dans oĂč il documente plus qu'il ne raconte et qu'il ne s'attache pas Ă l'ego, mais au groupe. Car oui, un rĂ©cit coopĂ©ratif doit ĂȘtre coĂ©crit.
Le récit coopératif : un levier de transition ?
La transition est le passage d'un état du monde à un futur désirable.
Ces mots de l'Ă©conomiste Ăloi Laurent nous renseignent sur le rĂŽle que peut occuper le rĂ©cit coopĂ©ratif. En documentant la construction d'un collectif, son cheminement vers une destination partagĂ©e, ses errements, ses rĂ©ussites et ses doutes, le rĂ©cit coopĂ©ratif devient le tĂ©moin vivant d'une transition. Car au fond, qu'est-ce qu'un rĂ©cit si ce n'est le support de la transformation de son hĂ©ros ? Ici, le hĂ©ros est au pluriel et la transformation est radicale puisqu'elle montre, par le rĂ©el, la dĂ©mocratie en action dans l'entreprise et, Ă travers elle, l'entreprise en action dans son monde en transition.
Aussi, je crois dur comme fer au pouvoir transformatif du récit coopératif. Qu'il se matérialise à travers un "carnet de bord", une série de stories sur les réseaux sociaux, un film en bonne et due forme... Tous les médias sont bons pour donner à voir le modÚle coopératif.
D'ailleurs, la fiction intĂšgre aussi, dans son narratif, le rĂ©cit coopĂ©ratif. La FiĂšvre par exemple, derniĂšre sĂ©rie des studios canal, fait de cette quĂȘte coopĂ©rative un Ă©lĂ©ment marquant de son intrigue. Mais ça, c'est un autre sujet.